Cédric Schoonen, Maxime Jamotte, Aurélien Manera & Florian Danneau
Certains matériaux nous semblent plus confortables à tenir en mains que d'autres, notamment ceux dont les poignées sont faites en caoutchouc. Dès lors, pourquoi nous semble-t-il que certains matériaux nous tiennent mieux entre les doigts que d’autres? Que se passe-t-il réellement lorsque l’on pose nos doigts sur une surface? Quels sont les mécanismes mis en place par nos doigts lors du contact avec la surface? C’est à toutes ces questions et bien d’autres que nous allons répondre aujourd’hui. Pour ce faire, nous avons rencontré une équipe de 3 étudiants ayant réalisé une étude à ce sujet. Cette équipe est composée de Cédric Schoonen, Maxime Jamotte et Aurélien Manera. Ces 3 étudiants vont nous aider à en comprendre plus sur ce sujet.
-C.S : "La surface du doigt est constituée d’une couche de kératine appelée stratum corneum. La kératine est un composé mixte qui a des parties cristallines et d’autres amorphes. La partie amorphe de la kératine absorbe facilement l’eau, ce qui a pour effet de rendre la kératine beaucoup plus élastique. La surface du doigt est aussi recouverte de pores sécrétant de la transpiration. Lors d’un contact, l’eau sécrétée par ces pores ne peut plus s’évaporer et se fait absorber par la couche de kératine. Le stratum corneum devient donc plus élastique au cours du temps."
-C.S : "Plus le matériau est élastique, plus il pourra se déformer et adhérer à la surface. L’aire initiale de contact sera d’autant plus grande que le matériau est élastique. Le contact de la peau avec une surface dure et une surface molle diffère donc par la rapidité de croissance de l’aire de contact. Cela peut être observé sur les graphiques suivants"
-C.S : "Au niveau moléculaire, le contact correspond à un rapprochement des deux surfaces à des distances de l’ordre de l’atome (10-10m). A ces distances, les molécules sont assez proches pour effectuer des interactions de type Van der Waals et générer les forces de frictions entre les deux surfaces. Les zones de contact intime, les “jonctions”, commencent par apparaître de façon isolée au niveau des crêtes du doigt, puis grandissent avec le temps, au fur et à mesure que le stratum corneum s’humidifie. Nous pouvons voir cette évolution sur la figure, sur laquelle les zones noires sont les jonctions."
-M.J : "Ils ont utilisé ladite technique de réflexion totale interne frustrée. Leur caméra recueillait les images des empreintes de doigt laissées sur la surface du prisme ou de l’élastomère. Les images ont ensuite été optimisées (contraste, brillance) pour leur traduction en valeurs numériques reprises dans les graphiques. Un des démarches du processus est le “Grayscale rendering”, qui donne un rendu en 3D du contact étudié. Ce résultat indique dans quelles proportions la FTIR prend place, c’est-à-dire à quel point les jonctions se font entre le doigt et la surface. En effet, plus la zone est sombre, plus la FTIR est importante et donc plus le contact est intime."
-M.J : "Grâce à un transducteur, chargé d’appliquer une pression sur le prisme de manière à le rapprocher de l’index, ils ont pu faire varier la force de pression (2 et 3 N) et le taux auquel celle-ci croissait (0.5 , 1 et 2 mm s-1). Ils maintenaient le contact entre l’index et le prisme de verre (remplacé à un certain moment par du PDMS) durant 60 s (voir photo du montage). Ensuite, ils appliquent les méthodes de traitement d’images obtenues à partir de la réflexion interne totale frustrée."
-C.S : "L’aire de contact totale correspond à la somme des aires des zones de jonctions (zones noires sur l’image). Cette aire de contact augmente avec le temps, étant donné que le stratum corneum devient plus élastique. Cette augmentation est exponentielle comme le présente les résultats de la figure et est typiquement de l’ordre d’une vingtaine de secondes. Si la surface contre laquelle le doigt est posé est déjà très élastique, l’aire de contact initiale aura immédiatement sa valeur maximale."
-M.J : "Dans la plupart des cas, les résultats confirment bien une croissance exponentielle de la zone relative de jonction, qui n’est rien d’autre que l’aire totale de jonction divisée par l’aire totale. Nous voyons au passage qu'ils ont réalisé divers tests en faisant varier la force de pression et la vitesse à laquelle son intensité croît. Les résultats ont été similaires à peu près dans tous les cas."
-M.J : "Le graphe de b2 dans la figure ci-dessus nous montre un cas où l’humidité du doigt était très élevée, ce qui a permis dans un premier temps d’avoir un fort contact mais ensuite, l’eau en excès s’évapore, ce qui rend le stratum corneum moins élastique, diminuant l’aire de jonction. Les cas d1 et d2 quant à eux reflètent un très faible taux humidité. Le doigt est complètement rigide, ne se déforme pas pour épouser le verre. Le cas f1 est intermédiaire. L’humidité du doigt est supérieure aux cas d1 et d2 mais insuffisante pour créer un contact optimal."
-C.S : "La force de friction ff peut être reliée linéairement à l’aire de contact Ajunc par un coefficient τ, qui est propre aux matériaux en contact. Ce coefficient dépend de l’élasticité des matériaux et décroît légèrement lorsque le stratum corneum s’humidifie. Cependant, l’aire de contact croît plus rapidement et la tendance résultante observée est une croissance exponentielle de la force de friction, de constante de temps identique à l’exponentielle de la croissance de Ajunc, comme nous pouvons le voir sur la figure. L’évolution de la force de friction semble donc suivre immédiatement celle de l’aire de contact.
Notons que la force de friction dépend aussi de la force normale ω maintenant les matériaux l’un contre l’autre. La dépendance est linéaire pour les matériaux rigides: ff = μ*ω, alors qu’elle est au contraire non-linéaire pour les matériaux mous. En effet, comme les matériaux mous se déforment pour adhérer à la surface, l’aire de contact variera peu en augmentant la force normale car la plus grande partie de la surface sera déjà en contact direct avec le composé mou. Ce phénomène est similaire à celui de la transition vitreuse car ici la dépendance en la force normale est contrôlée par la capacité des matériaux à se déformer sur les échelles de temps de l’expérience. La vitesse caractéristique de déformation du stratum corneum va dépendre de son contenu en l’eau, qui va augmenter avec le temps et rendre le comportement de la surface du doigt de plus en plus non-linéaire, à travers son élasticité."
-A.M : "Il y a trois grandes applications que l'on peut épingler : les écrans tactiles, les stimulateurs tactiles et les anti-déranpants."
-A.M : "Les écrans tactiles reposent sur la friction entre le doigt et l'écran. Des vibrations ultrasoniques permettent de moduler la friction. Lors de la vibration d’une surface d’un matériau, notre doigt a tendance à se déplacer sur toute la surface du matériau. Les chercheurs comptent sur la capacité à réduire ou augmenter la friction global de l’écran tactile pour les rendre plus performants.
Pour les stimulateurs tactiles, les dispositifs tactiles basés sur la réduction de la friction permettent de simuler un grand nombre de stimulations tactiles, en modulant la friction entre le bout du doigt et la surface touchée active en fonction de la position du bout du doigt. Ce type de stimulateur tactile repose sur deux composants principaux : une zone active qui vibre et un capteur de position. Plusieurs conceptions ont été utilisées pour produire un tel dispositif : utilisé un petit patch piézoélectrique entièrement recouvert d’un disque de verre, une plaque tactile rectangulaire en cuivre de béryllium. Ces deux dispositifs rendent des sensations tactiles sur une grande surface en utilisant un mode de vibration en flexion (càd en courbure) avec une longueur d’onde d’environ 3 cm. Présentons une conception qui produit une réduction de la friction sur une plaque transparente. La méthode consiste à exciter une plaque de verre par ses bords à l'aide de deux excitateurs de taille adéquate, comme décrit dans la photo ci-dessus. On s'attend ainsi à un bon rapport entre la surface active et la surface totale du dispositif. En bref, le stimulateur tactile repose sur le contrôle du coefficient de frottement à l'aide de l'effet de film compressible. L'effet de film compressible est un phénomène de surpression qui apparaît entre deux surfaces planes lorsqu'une vibration à haute fréquence est imposée à l'une d'entre elles.
Enfin,les anti-dérapants ont pleins d'applications telles que les "poignées" des stylos qui sont revêtis d’une certaine zone caoutchouteuse ce qui les rend plus faciles à manipuler en raison des propriétés des matériaux caoutchouteux. Lorsqu’on pose un doigt sur un matériau caoutchouteux, on se place directement dans un état stable et maximale tandis que pour un matériau lisse, il faut un certain temps pour arriver à un certain état stable(lorsque la force normale est maximale). Le coefficient de frottement d’un doigt sur un matériau souple, par exemple, un élastomère, est presque constant pendant tout le contact avec le matériau."